Dans un train

Le dicton dit qu’on ne parle que des trains en retard. Il y a de quoi écrire un roman. Et encore, en deux tomes.

- Vous avez dit quelque chose ?
- Heu… non… excusez moi…
- J’avais cru.

Dans le train, les passagers commençaient à être agacés. Trente minutes de retard déjà. Pour un TVG, c’est plutôt un comble. Train Grande Vitesse, plus le retard. Un conducteur de TGV touche quatre mille huit cent quatre vingt euros net par mois. Ce n’est même pas la moitié de ce que touchent ces deux passagers, réuni bien sûr.

Dans le wagon, il y avait peut-être une dizaine de personnes. Un couple de jeunes, au fond, n’arrêtait pas de s’embrasser. L’attente ne les dérangeait pas, ils avaient encore le temps de vivre, eux. La vieille dame assise au numéro cent n’avait plus le temps elle. Elle devenait nerveuse. Rester coincée là, entre deux parois de métal. Pour elle, c’était perdre de précieuses minutes, les dernières minutes de sa vie, celles qui comptent le plus.

Jean et Paul Munari étaient deux frères qui avaient choisi de faire un road trip. Paul ne parlait plus depuis quelques minutes. Il pensait, les yeux braqués sur la ligne d’horizon.

C’est champêtre ici. J’aime bien cet endroit. Il devait être quatorze heures et comme toujours dans un train, l’éternel message d’excuse sortait des haut-parleurs tous les quarts d’heures. Mesdames Messieurs le train est actuellement à l’arrêt pour des raisons de sécurité. Veuillez gardez vos places. Merci de votre compréhension. La sécurité est quelque chose d’essentiel dans la société moderne. Mourir ou être blessé est grave.

Dehors, la masse métallique du train à l’arrêt s’accordait mal avec les champs. Pas de vent. Quelques nuages dans le ciel, qui ne bougeaient pas depuis des heures. Tout ça se passait sûrement dans le sud, ou quelque part où il fait chaud. Peut-être même que c’était l’été. Les passagers du dernier wagon n’étaient pas nombreux. Le jeune couple, la vieille dame, les frères Munari, l’homme d’affaire qui parlait tout seul, sa voisine qui aimerait bien faire sa connaissance.

Non, personne dans le dernier wagon n’avait vu ce qui s’était passé dehors. Personne ne soupçonnait. Les petites gouttes de liquide rouge qui avaient taché les vitres étaient passées inaperçues. Pourtant, quelque chose de terrible était arrivé.

A une vitesse d’environ quatre cent kilomètres à l’heure, une masse de trois cent tonnes environ qui frappe un corps ne laisse aucune trace. L’énergie déployée étant de l’ordre de quelques milliards de watts, la dispersion des éléments d’un corps se fait en quelques millisecondes.

Quand le train s’est arrêté de toute urgence, les agents de sécurité, en accord avec le conducteur, ont décrété, dans les rapports officiels, que le TGV avait heurté un animal d’une masse importante qui aurait pu faire dérailler le train, mais que par chance, l’impact était tellement puissant que la chair et les os de l’animal furent éparpillés, ne causant que des dommages bénins.

Mais personne n’a vraiment vu ce qui s’était passé. C’était simplement que, par souci de bonne image, il fallait faire repartir le train très vite. Les gens dans les wagons commençaient à s’impatienter.

Le train est reparti vers quinze heures dix.


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