In vitro

Son père avait attendu quarante ans avant de lui dire. Tu sais, je ne suis pas ton vrai père. En un rien de temps, il avait compris. L’ironie du sort. Il travaillait dans un centre d’insémination artificielle, de fécondation in vitro. Tous les jours il côtoyait des familles qui ne pouvaient pas avoir d’enfants naturellement. Toujours, il avait eu peur d’être né comme ça.

C’était tellement froid, tellement monotone et conventionnel. L’acte avait disparu, c’était une pipette et un microscope qui l’avait remplacé. Il se souvenait de son séminaire avec le biologiste Jacques Testart, qui lui avait dit, d’un ton nostalgique : notre civilisation commence à confondre les choses essentielles de la vie.

Qu’il soit un bébé éprouvette, il était prêt à l’accepter. Mais son père ne lui avait pas tout dit. Ta mère et moi, nous avons gardé un embryon congelé, une copie de toi en quelque sorte. Nous avions si peur de te perdre…

Comment pouvait-il concevoir cette idée, d’être né une fois, et de pouvoir naître une deuxième fois. Il avait déjà manipulé des centaines d’embryons congelés au Centre, mais jamais il ne s’était demandé ce qu’ils pouvaient bien devenir après. Quel couple assez fou pouvait conserver un embryon de leur enfant dans son congélateur ?

Quand son père est mort, il est resté seul. Sa mère était un souvenir depuis longtemps. La cellule familiale n’avait jamais était très solide. Son père ne lui laissait presque rien en héritage. Il était pauvre de toute façon. Mais quelque chose d’important lui revenait de droit : son propre embryon, conservé dans la glace.

Quarante ans que ces cellules étaient préservées. Quarante ans qu’elles lui étaient cachées. Quarante ans qu’il prononçait papa en y croyant. Son passé n’avait plus de goût, sa vie sonnait un peu faux.

Mais qu’importe. Le sort désigne les victimes et les bourreaux. Ses parents pouvaient bien être pardonnés. Il a simplement pris le flacon congelé et l’a jeté dans les égouts. Cet affreux souvenir ne méritait pas mieux.

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